Changer le logiciel, non les hommes
À chaque cycle électoral, nous assistons à un jeu de chaises musicales qui fait défiler des figures politiques, comme si le simple changement d’hommes ou de femmes au pouvoir suffisait à résoudre les crises. Pourtant, ce n’est pas la qualité des joueurs qui est en cause, mais bien les règles du jeu elles-mêmes. Changer le logiciel, et non les hommes, voilà la véritable révolution à opérer.
La société actuelle évolue sur les cendres de valeurs jadis constitutives, méthodiquement déconstruites au fil des décennies. La cellule familiale, pilier de nombreuses civilisations, a été brisée. Dans la quête d’une égalité économique, les deux parents doivent désormais travailler pour aspirer à la propriété, au détriment du temps consacré à leurs enfants. L’éducation de ces derniers est confiée à des tiers, dépersonnalisant le rôle éducatif et amplifiant une dépendance envers des institutions collectives souvent dépassées.
Les bases économiques sur lesquelles reposait la stabilité sociale sont également érodées. Les industries, autrefois sources de travail et de fierté nationale, ont été délocalisées sous la pression d’un capitalisme mondialisé. Les rares qui subsistent sont automatisées, générant davantage de profits mais au prix d’une hausse inexorable du chômage. Ces bénéfices de la robotisation, loin d’être redistribués pour soutenir les populations, alimentent les dividendes d’actionnaires déconnectés des réalités sociales.
L’agriculture, autrefois moteur de résilience et de cohésion locale, est aujourd’hui sacrifiée sur l’autel de la compétitivité internationale. L’agriculture de proximité, avec son savoir-faire millénaire, agonise, et les chiffres effarants d’un suicide quotidien dans le secteur agricole témoignent de cette désespérance.
Quant à l’artisanat, autrefois garant d’un patrimoine vivant, il s’éteint lentement. La transmission des savoir-faire se heurte au désintérêt des nouvelles générations pour des métiers perçus comme peu valorisants, souvent sous-payés. Le travail manuel, pourtant essentiel, est délaissé au profit de professions dites intellectuelles ou administratives, elles-mêmes en voie de disparition face à l’automatisation.
La politique migratoire, au lieu d’être un levier d’intégration et d’enrichissement mutuel, s’est transformée en instrument tacite d’un système d’exploitation. Les travailleurs sans papiers, souvent dans des conditions proches de l’esclavage moderne, pallient les failles d’un modèle économique qui court à sa perte.
Le constat est clair : il n’y a plus assez de travail pour tout le monde. Les jeunes, condamnés à l’inactivité et à une précarité prolongée, deviennent des « Tanguy », contraints de rester chez leurs parents faute d’opportunités. À l’opposé, on pousse les aînés à travailler davantage, exacerbant un paradoxe cruel.
Le principe de croissance économique, longtemps érigé en dogme, est aujourd’hui obsolète. Consommer toujours plus, mais pour qui, pour quoi ? Cette quête absurde de croissance ne fait qu’accélérer la destruction de la planète. Les espèces animales disparaissent à un rythme effréné, et les niveaux de pollution atteignent des sommets alarmants. Les océans, désormais parsemés de continents de plastique, reflètent l’ampleur de notre incurie.
Le climat change, et les décisions politiques demeurent incohérentes, voire dérisoires. La promotion de la voiture électrique illustre cet aveuglement : au lieu de repenser nos modes de vie, nous cherchons à maintenir à flot un marché automobile déjà moribond.
L’intelligence artificielle, nouvel acteur de cette mutation profonde, promet de bouleverser les fondations mêmes de l’emploi. En supprimant jusqu’à 30 % des métiers actuels dans les cinq prochaines années, elle condamne des professions entières, rédacteurs, secrétaires, comptables, agents de banque, et bien d’autres, à disparaître.
Face à cette réalité, le revenu universel inconditionnel apparaît comme une réponse incontournable. Il ne s’agit plus de débattre de sa pertinence, mais de préparer les bases d’une société où chaque individu pourra subvenir à ses besoins fondamentaux, indépendamment de sa place dans un marché du travail désormais fragmenté. Il est inadmissible que des Français meurent de faim ou de froid dans la rue en 2024.
Alors que l’environnement s’effondre, que les ressources s’épuisent, et que les inégalités s’accentuent, nous persistons à débattre de la personne qui tiendra le volant d’un véhicule en route vers le précipice. Mais il ne s’agit pas de savoir qui conduit. Il s’agit de changer de véhicule, de revoir les cartes et de réécrire les règles.
Changer le logiciel signifie reconsidérer les fondements mêmes de notre société :
• Passer d’une logique de plein emploi à une logique de partage des tâches, où l’automatisation n’est plus perçue comme une menace, mais comme une opportunité d’alléger le fardeau humain.
• Mesurer le bien-être collectif non par la croissance économique, mais par la qualité de vie, l’éducation, la santé et l’environnement.
• Développer une agriculture et un artisanat valorisés pour leur contribution à la résilience locale.
• Redonner sa place à la famille, au voisinage et aux communautés locales dans un monde dominé par l’individualisme et la compétition.
• Investir massivement dans la formation et l’accompagnement pour permettre à chacun de s’adapter aux nouveaux outils et réalités.
Nous ne manquons pas de ressources intellectuelles ou techniques. La rénovation de la cathédrale Notre-Dame de Paris symbolise et glorifie le génie et le savoir-faire français.
Ce qui fait défaut, c’est la volonté collective de changer les paradigmes. Changer le logiciel, ce n’est pas seulement une nécessité : c’est une opportunité historique d’imaginer un monde plus juste, plus durable, et plus humain. Le défi est immense, mais il n’est pas insurmontable. Reste à savoir si nous oserons le relever.
Changer le logiciel et non les hommes, c’est admettre que ce ne sont pas les individus qui sont défaillants, mais le cadre dans lequel ils évoluent. Ce choix, bien qu’audacieux, est nécessaire pour construire une société plus juste et plus adaptée aux défis du XXIᵉ siècle. Il ne s’agit plus de rafistoler un système à bout de souffle, mais de bâtir une nouvelle architecture, capable d’accueillir les générations à venir sans sacrifier les valeurs fondamentales qui nous unissent.
Comprenne qui pourra.
Francis Stuck
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