Mon approche de l'équitation est-elle compatible avec l'équitation de tradition ?
Une élève me demandait si mon approche de l'équitation était compatible avec les enseignements de l'équitation de tradition.
Ma vision de l’équitation ne se heurte pas à la tradition, bien au contraire : elle en constitue l’essence même, à condition toutefois de restaurer ce qui en a fait sa grandeur, sa philosophie de liberté. Mais pour cela, un préalable s’impose : libérer le cheval.
Libérer le cheval implique de soustraire de la pratique équestre tous les éléments coercitifs qui entravent son bien-être, qu’il s’agisse de matériels qui créent de l’inconfort ou pire encore, de la douleur. Sans cette libération, il est illusoire d’espérer bâtir une relation authentique basée sur la confiance. Et sans confiance, tout dialogue se ferme.
Une fois ce préalable accompli, une nouvelle dynamique s’installe. Libéré de ses entraves, le cheval retrouve non seulement sa légèreté naturelle, mais aussi sa disposition à participer activement au travail. C’est sur cette confiance mutuelle que peut s’ériger un langage cognitif intelligent, fondé sur un principe binaire clair et accessible : le “oui” et le “non”. Mais attention, nous ne parlons pas d'un langage simpliste car entre le oui et le non il existe une infinité de nuances qui font la richesse de l'expression.
A ceux qui doutent, je rappelle que nos ordinateurs et smartphones fonctionnent selon un langage binaire ...
Par cette démarche, nous insufflons un souffle nouveau à l’équitation de tradition. Le langage des aides, pilier fondamental de l’art équestre classique, reste universel. Mais il retrouve ici sa véritable vocation : redevenir un outil de communication, non une contrainte imposée.
Ainsi, nous renouons avec l’esprit de Xénophon, dont le traité, il y a près de 2.500 ans, prônait déjà une équitation respectueuse de la nature du cheval. Xénophon rappelait que la force ne pouvait jamais remplacer la subtilité, que l’art équestre reposait sur la compréhension et la douceur. Son héritage est une invitation à rétablir un lien de coopération avec le cheval, où chaque geste est un dialogue et non un ordre.
Plus près de nous, cette démarche s’inscrit dans la lignée de l’Equitation de Tradition Française, reconnue par l'UNESCO comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Au cœur du Siècle des Lumières, cette équitation a incarné les valeurs de respect, d’élégance et de réflexion, en phase avec les bouleversements intellectuels de son époque. Elle a accompagné l’émancipation des consciences, transformant l’équitation en un art à part entière.
Cependant, cette tradition ne doit pas rester figée dans le passé. Mon approche établit un pont entre cet héritage et les avancées contemporaines des sciences zoosémiotiques, de l’intelligence animale, et du langage interespèces. Ces disciplines modernes nous permettent de mieux comprendre la complexité cognitive et émotionnelle du cheval, ouvrant ainsi des perspectives insoupçonnées pour enrichir notre relation avec lui.
Ce lien entre tradition et modernité constitue une véritable ligne du milieu, unifiant les enseignements du passé avec les promesses d’un futur où l’équitation redevient un art au service de l’harmonie entre l’homme et l’animal.
Brisons le paradigme de la soumission, osons l'intelligence et rouvrons le chemin de la Haute-Ecole, tant pour les cavaliers que pour les chevaux.
Le bonheur de simples promenades dans la nature s'avère suffisant pour nombre de cavaliers. Par expérience, nous savons que les chevaux aiment apprendre. Or il serait curieux de brider les capacités cognitives d'aucuns sous prétexte que nous n'aspirons nous-même qu'à la simplicité.
Qui peut le plus, peut le moins dit l'adage. N'oublions jamais que la connaissance ouvre le chemin de la liberté.
Un piaffé en équilibre absolu permet d'expérimenter la conscience de l'instant présent, un moment de grâce ou le temps est suspendu, ou nous ressentons la puissance du cheval qui comme le disait François Baucher, met alors toute sa force et son énergie au service du cavalier. La conscience ne se modifie que par l'expérience.
Aujourd'hui nous découvrons cette opportunité d'accéder à ces sommets d'excellence non plus par l'exigence de soumission, mais en faisant appel à l'intelligence émotionnelle et cognitive du cheval. Et cela change tout.
L’équitation est née d’un idéal de liberté. Elle doit retrouver cet esprit pour redevenir un art qui sublime le cheval. Ce dernier, compagnon de notre évolution depuis des millénaires, mérite une reconnaissance à la hauteur de son rôle historique.
Ainsi, l’équitation ne doit pas seulement être une pratique technique, mais elle doit s'inscrire telle une philosophie, une quête d’harmonie et de transcendance. Elle peut, à travers une approche consciente et respectueuse, réconcilier l’héritage de Xénophon et des maîtres écuyers français et étrangers avec les découvertes des sciences modernes. C’est là que réside sa véritable essence et son avenir : un art libérateur, à la croisée des chemins entre tradition et modernité.
Comprenne qui pourra.
Francis Stuck
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